Réflexion | 11.2020

La publication de ce nouvel essai d’Adrien Candiard[1], dominicain qui vit au Caire, carrefour des mondes et civilisations, est particulièrement bienvenue à l’heure où de nouveaux attentats islamistes ont ensanglanté la France et l’Autriche tuant un enseignant à la sortie de son collège et des croyants au sein d’une basilique ou devant une synagogue. En bon connaisseur de l’Islam médiéval, il nous invite surtout à ne pas réduire le fanatisme religieux à une pathologie et penser qu’il suffirait de mettre en place des programmes de déradicalisation pour le combattre. Il fait œuvre salutaire en plongeant dans les sources lointaines de ces courants salafistes ou djihadistes et en présentant la figure du théologien musulman Ibn Taymiyya (XIVème). A la question de savoir si un musulman pouvait partager non pas un culte chrétien mais simplement une pratique comme l’échange des œufs de Pâques, le théologien répond par une fatwa (un avis juridique) : ce croyant doit être rappelé à l’ordre, et s’il récidive, il mérite la mort. Comment se fait-il que l’on soit aujourd’hui encore confronté à une telle violence qui a pris la dimension politique de réseaux très organisés et même de la résurgence d’un éphémère califat avec Daech ?

Le dominicain fait œuvre ici de théologien plutôt que d’historien. Il montre que le courant hanbalite, une des 4 grandes écoles juridiques de l’Islam sunnite[2] (du nom de sa figure fondatrice, l’imam irakien du IXème siècle, Ibn Hanbal) affirme l’absolue transcendance de Dieu et son corollaire : on ne peut rien connaître de sa nature. Seule doit être suivie sa volonté. « Ce pieux agnosticisme sur la nature de Dieu s’accompagne donc d’un amour zélé pour sa Loi » (p. 34) qui permet si besoin la contrainte tout en s’empêchant de faire œuvre réellement théologique puisque, de Dieu, on ne peut rien dire en dehors de ses commandements.

Ce courant n’est, bien sûr, qu’un parmi beaucoup d’autres. Il est resté longtemps marginal jusqu’à ce que le mouvement de réforme salafiste (à la source du wahabisme en Arabie saoudite) lui redonne une grande actualité depuis un siècle et fonde aujourd’hui la pratique de la plupart des courants islamistes comme Al-Quaïda ou Boko Haram, al-Shabaab, et le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest.)

Ce qui est intéressant dans l’essai de Candiard, c’est de montrer que, contrairement à ce qu’on pense habituellement, le fanatisme n’est pas la conséquence d’une présence excessive de Dieu, mais au contraire, la marque de son absence. Et la nature ayant horreur du vide, cette place vide est remplie, pour l’hanbalisme, par les commandements divins et donc les interprétations bien humaines plutôt que par la recherche de Dieu. Le risque de l’idolâtrie n’est pas loin et nous invite à toujours purifier notre foi. Plutôt que de vouloir privatiser la religion ou promouvoir une expression modérée de celle-ci, il s’agit de ne pas se tromper d’objet et de chemin, ce qui est le cas quand une religion s’appuyant sur une obéissance aveugle et donc irraisonnée d’un commandement, prétend justifier une mise à mort au nom de Dieu lui-même.                                                                                 

Alain Viret


[1] Adrien CANDIARD, Du fanatisme. Quand la religion est malade, Cerf, 2020. Un prix de la spiritualité chrétienne lui a été décerné pour son ouvrage sur la liberté commentant le billet à Philémon.

[2] Les 3 autres écoles juridiques sont les écoles hanifite, malikite et chaféite.