Échos de la session inter-ministères
Les 2 et 3 février 2021, une session sur les nouveaux chercheurs a réuni sur la plateforme « Zoom » les étudiant(e)s en formation d’animateur(trice) pastoral(e), une quinzaine de séminaristes et une dizaine d’auditeurs libres.
Un vaste sujet, qui nous a permis de nous mettre à l’écoute d’une réalité plus ou moins connue, qui interpelle depuis quelques années nos Églises. L’épiscopat français lui a consacré un des numéros de la revue éditée par leur secrétariat[1]. Le guide avisé de ces deux jours a été Jean-Luc Souveton, prêtre du diocèse de Saint-Etienne qui, nommé par son évêque « délégué au développement personnel et aux spiritualités hors-frontières », est devenu « chercheur avec les chercheurs ». Dans le cadre de l’association CORAMESPRIT, il anime régulièrement des sessions de méditation, de jeûne et d’ennéagramme, à Saint-Etienne ou dans différents monastères.
La dynamique de la première journée visait à nous faire entrevoir les traits caractéristiques de cette population, tout en nous questionnant sur notre propre chemin de recherche et sur la soif primordiale qui a pu l’animer. Un temps de partage biblique sur l’appel des premiers disciples dans l’évangile de Jean nous a permis de laisser résonner cette question essentielle : « Que cherchez-vous ? » Comme le rappelait Jean-Luc Souveton, Jésus offre à ses interlocuteurs « une parole qui donne la parole » et qui fait surgir une nouvelle question : « Où demeures-tu ? ». Tout comme ces premiers disciples, les nouveaux chercheurs sont en quête de témoins crédibles, capables, du fait de leur propre expérience de demeurer en Dieu, de les conduire à un Dieu vivant.
Puis, deux enquêtes sociologiques, l’une réalisée en Suisse et l’autre en France[2], nous ont permis de dresser un portrait de ces chercheurs et de mettre en évidence les activités qui attirent tout particulièrement leur attention[3]. Assoiffés d’essentiel, à la recherche d’expériences authentiques, s’ils montrent de l’intérêt pour la voie tracée par le Christ, ils regardent toutefois avec méfiance l’institution ecclésiale. Du riche exposé de Jean-Luc Souveton, appuyé sur l’enquête française, nous pouvons retenir deux découvertes, par rapport aux préjugés courants liés à cette population.
- Alors que nous avons tendance à qualifier ce type de recherche d’égocentrée, l’enquête montre que l’approche spirituelle de ces chercheurs, centrée sur l’individu, témoigne d’un chemin d’individuation qui ne débouche pas forcément sur de l’individualisme. Ils ne sont pas en quête d’un lieu de refuge, d’une spiritualité en retrait des soucis du monde. Au contraire, ils sont souvent très engagés dans la vie associative et dans le service des plus faibles.
- La quête de ces chercheurs ne relève pas d’un bricolage spirituel que nous pourrions facilement qualifier de syncrétisme, mais d’une « recomposition spirituelle », fruit d’un discernement opéré entre des éléments hétérogènes et apparemment contradictoires. Ces chercheurs témoignent ainsi du passage d’un modèle du « ou » (exclusif), à un modèle du « et » (inclusif), cher à la modernité.
La dynamique de la seconde journée visait à orienter l’attention des participant(e)s vers la posture de l’Église face aux interpellations de cette nouvelle réalité pastorale. Le documentaire « Présence »[4] visionné ensemble la veille, nous avait déjà permis de découvrir des lieux chrétiens qui proposent la pratique de la méditation, en s’inspirant de certains courants orientaux.
Nous voilà prêts à découvrir des expériences locales, à travers le témoignage de Nils Phildius, pasteur dans l’Église Protestante de Genève, animateur de la Maison bleu ciel et de l’atelier de spiritualité chrétienne d’où est issu le livre qu’il vient de publier – Se goûter un en Dieu. Approche non duelle de la spiritualité chrétienne [5] -, un livre pétri de son expérience auprès de ces chercheurs dont lui-même a fait et fait partie.
A l’expérience de Nils, viennent s’ajouter les voix de Michel Alibert et de Sr Isabelle Donegani. A la Pelouse, dans un compagnonnage qui s’est tissé pendant 16 ans, ils proposent des journées de « Bible et yoga » associant leurs compétences respectives de théologien et d’enseignant de yoga pour l’un, et de bibliste ayant découvert dès sa jeunesse la pratique du yoga, pour l’autre. Un témoignage qui rend hommage au temps nécessaire à l’apprivoisement réciproque entre des pratiquants de yoga et une communauté religieuse qui a accepté de s’ouvrir à cette pratique issue d’une autre tradition. Michel Alibert nous a présenté, en quelques mots, un passionnant résumé de la conception anthropologique de l’école de Patañjali, qui est particulièrement en résonance avec la vision chrétienne de l’être humain.
Parmi ces expériences locales, il y a aussi un projet à venir : l’espace « Zundel », proche de la gare de Lausanne. Un projet de « city church » que Luc Ruedin, jésuite, nous a présenté. Ce lieu prévoit une grande chapelle pour des célébrations, un espace d’exposition dédié à des événements culturels, des salles de rencontre, une salle de méditation et une bibliothèque dédiée à l’œuvre de Maurice Zundel.
Mais pour quelles raisons l’Église s’intéresse-t-elle à ces nouveaux chercheurs ? La question mérite d’être posée. Et c’est sur ce thème que Jean-Luc Souveton nous a invités à réfléchir à travers trois possibilités, trois différentes attitudes que nous pouvons résumer ainsi[6] :
- S’ouvrir à cette nouvelle réalité en tentant de construire des ponts, de rejoindre les chercheurs là où ils sont, tout en sachant que souvent ils ne veulent plus de ce que l’Église propose. Dans cette perspective, le chercheur spirituel est-il réellement accepté, compris dans sa démarche ? S’agit-il d’une posture qui vise à rejoindre ces chercheurs uniquement dans la perspective de les évangéliser ?
- S’ouvrir aux chercheurs parce qu’il en va de la vie, de la fécondité et de l’avenir de l’Église. A travers leurs cheminements, ces nouveaux chercheurs invitent les baptisés, les communautés chrétiennes, à approfondir leur propre vie spirituelle, leur relation au Christ vécue comme une expérience à partager. Cette posture, ne serait-elle pas un peu trop auto-référencée ? Aller à leur rencontre pour le bien que l’Église pourrait en recevoir quant à sa propre conversion, serait-ce suffisant ?
- S’ouvrir aux chercheurs car il en va du devenir, indissociable, de l’humanité et de l’Église.
Dans cette posture, ce qui est mis en avant est la valeur du dialogue, le visage d’une Église en état de « visitation permanente », capable d’accueillir ce qui pourrait naître de cette rencontre, sans prétention, et en acceptant une certaine non-maîtrise.
Cette dernière option, très en phase avec les intuitions du pape François dans la Laudato Si’ etdans Fratelli tutti, nous invite à nous sentir toujours et encore en chemin, avec une attention particulière aux nouvelles générations. Quelle est leur quête et comment se manifeste-t-elle ? Comment entrer en dialogue avec des jeunes qui n’ont reçu aucun héritage religieux, ne serait-ce que pour s’en distancier ? Puissions-nous continuer à être attentifs à la voix de l’Esprit dont « nul ne sait ni d’où il vient, ni où il va », mais qui ne cesse de nous faire signe.
Federica Cogo
[1] Les chercheurs spirituels aujourd’hui. Une réalité qui suscite de nouvelles questions pastorales, n° 4, 20016.
[2] STOLZ J. et al., Religion et spiritualité à l’ère de l’ego, Labor et Fides, Genève, 2015 ; BARBIER-BOUVET J.-F., Les nouveaux aventuriers de la spiritualité. Enquête sur une soif d’aujourd’hui, Editions Médiaspaul, Paris, 2015.
[3] https://youtu.be/8usRO9IVc2Q
[4] https://www.youtube.com/watch?v=tK6mTRDpAMM&t=20s
[5] Labor et Fides, Genève, 2020.