Réflexion | 04.2022

Dans la compréhension de cette guerre fratricide entre la Russie et l’Ukraine, le facteur religieux est loin d’être négligeable. Il révèle la dimension nationale, voire nationaliste et l’autocéphalie qui caractérisent les Eglises orthodoxes au risque d’être assujetti au pouvoir politique, tentation à laquelle nos Eglises occidentales ont succombé en leur temps.

Depuis le baptême du prince Vladimir 1er en 988, Kiev est le berceau orthodoxe de l’antique « Rus » vénéré autant par les Ukrainiens que les Russes. La laure des catacombes en est sans doute le lieu le plus visité : un ensemble d’églises aux coupoles dorées recouvre des grottes creusées au XIème siècle par les moines fondateurs, Antoine et Théodose, afin d’y vivre en ermites[1]. La laure haute, celle des églises est propriété du gouvernement ukrainien tandis que les catacombes dépendent du patriarcat de Moscou. Depuis l’invasion de la Crimée en 2014, l’Eglise d’Ukraine a revendiqué une autocéphalie reconnue en 2018 par le patriarche de Constantinople et dont se réjouissait le président Petro Porochenko. Deux semaines plus tard, le président russe Vladimir Poutine participait pour la première fois au synode des évêques avec Kirill 1er, « patriarche de Moscou et de toutes les Russies » – entendez la Grande Russie, la petite (L’Ukraine) et a blanche (la Biélorussie). Le 6 mars dernier, il a justifié dans un sermon enflammé aux accents complotistes, l’offensive de Poutine au nom de la défense du Donbass et surtout de la lutte contre « un pouvoir mondial » promouvant l’homosexualité « condamnée par la Parole de Dieu »[2]. Devant cette dérive autocratique du gouvernement russe et son soutien inconditionnel du patriarche de Moscou, de nombreuses Eglises affiliées à ce patriarcat vivent un réel malaise et font le choix de rejoindre l’Eglise autocéphale en Ukraine et le patriarcat de Constantinople pour celles qui sont en diaspora en Occident. Le 20 mars, son patriarche Bartholomée a déploré les ravages humains de la guerre et a appelé « à l’arrêt imédiat des hostilités ».

En Suisse romande, l’université de Fribourg a pris acte de la démission à contre-cœur du métropolite Hilarion, porte-parole du patriarche Kirill tandis que plusieurs fidèles de l’église orthodoxe de Vevey ont décidé de se retirer de leur Eglise.  Proche de Genève, le centre de Chambésy, affilié quant à lui au patriarcat de Constantinople depuis plus de cinquante ans, se veut accueillant aux réfugiés ukrainiens. Il leur propose le samedi matin, une liturgie pour trouver paix, consolation et réconciliation[3]. Chargée de cours en science des religions et spécialiste de la diaspora orthodoxe à l’Université de Fribourg, Maria Haemmerli analyse cette initiative comme fidèle à son ethos et à son histoire. « Dans les années 1960, les fondateurs du centre – russes au demeurant – avaient envie de voir naître une orthodoxie locale qui s’émancipe des couleurs ethniques pour s’ouvrir à la culture occidentale ».

 Ce combat entre David et Goliath démontre en tout cas la force de résistance d’un peuple face au délire totalitaire d’un nostalgique de l’empire soviétique. Il révèle la profonde et lointaine déchirure entre l’Orient et l’Occident, deux mondes avec deux visions antagonistes où la religion est souvent instrumentalisée mais où des pages de sainteté continuent de s’écrire comme au cœur de tout conflit.                                                                                                                                                               Alain Viret


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Laure_des_Grottes_de_Kiev

[2] https://doc-catho.la-croix.com/6-mars-2022-Declaration-patriarche-Kirill-terme-Divine-liturgie-2022-03-18-1201205674

[3] comme le fait le p. Sviatoslav Horetskyi pour les communautés de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine à Genève et Lausanne.