
Au mois de novembre, le film Silence de Martin Scorcese (2016) a rassemblé les étudiants de deuxième et troisième année en régime de télé-enseignement depuis quelques semaines. Ils ont été invités à se laisser toucher par un film puissant et bouleversant dont certaines images ont pu être ressenties parfois assez durement. Mais avec un peu de recul et de réflexion pour ne pas rester sur des impressions à chaud, l’exercice en valait la peine.
Il a fallu d’abord se préparer à prendre toute la mesure du film. Pour cela : introduction historique sur l’évangélisation du Japon au 16e siècle et la longue ère de persécution qui suivit (16e au 19e siècle) ; plongée dans la biographie du romancier Endô Shûsako (Silence, 1969) et présentation d’un metteur en scène engagé existentiellement dans son œuvre.
Avant de nous réunir avec les étudiants, cette session a d’abord mis en marche toute notre équipe pédagogique en la plongeant dans la lecture du roman Silence qui a habité Scorcese durant 28 ans avant la production de son film. Imprégnés et déplacés nous-mêmes par les profondes questions théologiques dont ce roman est porteur, nous avons eu la joie d’accueillir Philippe Hennebicque (prêtre de la Mission ouvrière St-Pierre-et-Paul) dans notre équipe de préparation et comme témoin durant la session. Son expérience « de vivre avec » dans une culture qui nous est profondément étrangère a donné du relief à l’expérience des missionnaires jésuites présentés dans le film. Les enjeux d’une évangélisation authentique qui permet aux gens d’une culture différente de vivre et d’exprimer l’expérience chrétienne sont toujours bien d’actualité.
A travers une grille de lecture, les étudiants ont pu suivre plus spécifiquement quelques-uns des grands personnages du film pour approfondir et soulever des questions théologiques qui ne sont pas étrangères à notre actualité pastorale : le silence de Dieu dans l’épreuve, le don de sa vie pour sa foi ou l’apostasie, le visage du Christ révélé par le plus faible ou le plus pécheur apparemment, religion et religiosité, le rôle des prêtres et des sacrements et la fidélité des chrétiens cachés du Japon, mission et inculturation, foi vécue et rapport à l’Institution ecclésiale…
Bref. Si le cinéma a ses dangers, il a aussi une puissance suggestive qui permet une véritable expérience à partir de laquelle il est tellement riche de partager en groupe.
Je vous laisse avec une citation magnifique d’un livre incontournable et qui nous redit : Ne jugeons pas trop vite les actes extérieurs !
« Seigneur, depuis longtemps, infiniment longtemps, j’ai évoqué votre visage. Je l’ai fait des dizaines de fois depuis que je suis ici… dans les montagnes de Tomogi, dans le petit bateau de ma traversée, dans les collines où j’errais, en prison, la nuit … Chaque fois que je priais, votre visage m’apparaissait, il m’adressait une bénédiction dans ma solitude, quand je fus pris, votre visage, tel qu’il était quand vous portiez votre croix, me rendit à la vie. Ce visage est profondément enraciné en mon âme, il a vécu dans mon cœur comme le bien le plus précieux. Et maintenant, avec ce pied, je vais le piétiner ». (E. Shûsako, Silence, (Folio), Denoël, 1992, p.257)
Françoise Masson