
Nous l’avions en quelque sorte anticipée avec un colloque sur l’écologie intégrale organisé en collaboration avec Philanthropos en novembre dernier. Avec la crise de la pandémie du Covid-19, ce thème s’impose aujourd’hui comme un appel urgent à la conversion de nos modes de vie personnelle et communautaire. L’encyclique prophétique du pape François publiée le 18 juin 2015 à la veille de la COP 21 de Paris offre une clé de lecture de ce que nous vivons à l’échelle planétaire et elle ne cesse d’interpeller nos consciences et nos pratiques.
Une boussole morale et spirituelle
A l’heure où beaucoup s’interrogent sur un avenir menaçant à cause de l’épuisement des ressources planétaires et d’une humanité prise dans une course folle[1] de plus en plus déconnectée du réel et engendrant une culture du déchet (LS 22), cette encyclique offre une boussole morale et spirituelle pour nous guider dans le soin de notre maison commune et une vie plus sobre et fraternelle. Le slogan « tout est lié » se vérifie particulièrement dans cette pandémie où l’intrusion violente de l’homme dans l’équilibre des écosystèmes provoque ces zoonoses qui rappellent notre commune condition fragile et mortelle et déstabilisent nos organisations politiques et économiques. En quelques semaines, un virus couronné a pris la main sur toutes nos envies de mobilité et libérer des réserves financières que tant de conférences internationales peinaient à débloquer. Il a révélé aussi la vulnérabilité de notre système sanitaire et la dépendance économique envers la Chine mais il a permis de mobiliser des trésors de générosité et solidarité, de résilience et de désir de vivre sans lesquelles il n’y aurait pas de réelle humanité.
Fidèle à sa conception de l’Eglise en sortie vue comme un hôpital de campagne, la pape François s’est fait urgentiste, attentifs aux plus faibles et délaissés comme il l’a fait dans le choix de ses voyages et interventions mais aussi appelant à des gestes significatifs comme l’invitation à une trêve de tous les conflits aggravant les risques de contagion, l’annulation de dette massive pour les pays les plus pauvres ou la mise en place d’un revenu universel pour éviter une trop grande précarité source de violences.
Il s’agit désormais de penser le monde de manière globale réconciliant les dimensions du vivant et les relations entre les vivants. Le temps presse car tous les signaux sont au rouge et il n’est plus l’heure de repousser les décisions de transition énergétique comme de changement de modes de vie. La tradition chrétienne, si elle a pu être accusée un temps d’avoir engendré un rapport dominateur sur la nature (LS 67), offre aujourd’hui des ressources de contemplation (cantique des créatures de François d’Assise) et de réconciliation avec l’ensemble des vivants tout en invitant à une fraternité universelle où les grandes religions ont un rôle majeur à jouer (cf. la déclaration d’Abou Dabi sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune de février 2019).
Effondrement ou révolution ?
Comme le souligne William Clapier dans un ouvrage prémonitoire paru à la mi-mars et qui porte ce titre[2], il est nécessaire de changer de cadre de pensée et de se reconnecter avec notre culture intérieure car notre société est fatiguée et épuise non seulement nos ressources mais aussi notre psychisme étouffant nos vraies aspirations. Ce n’est pas le moindre mérite de cette pandémie que de nous avoir mis un temps à l’arrêt pour retrouver le chemin de la contemplation, de l’écoute et du lien si souvent distendu par le rythme de nos vies modernes. J’ai pour ma part laissé de côté ma montre et ma voiture durant toute cette crise retrouvant les rythmes plus naturels du jour et de la nuit et l’observation des êtres vivants lors de la marche.
La parabole du semeur est intéressante à relire dans ce contexte avec les 4 terrains illustrant la difficulté à faire fructifier nos choix de vie. Que ce soit par inattention (« Semée au bord du chemin »), impossibilité à enraciner les choses (« jetée sur des pierres ») ou par une propension aux richesses et plaisirs qui étouffent la quête de sens en nous (« plantée sur les ronces »). W. Clapier le souligne : à cause de l’urbanisation extrême, nous vivons une anémie, une atrophie… nos sens, très stimulés par le numérique, ont perdu la grammaire de la nature. Il nous faut donc la réintégrer comme on le voit faire avec les créations d’écoquartiers ou de jardins partagés dans de nombreuses cités. » « Le fruit de la contemplation de la nature est de retrouver le lien vital qui nous unit à elle pour commencer à l’aimer. Là est le cœur de l’écologie intégrale ». C’est ce que promeut le laboratoire de transition intérieure d’Action de carême et de Pain pour le prochain ainsi que le courant d’éco spiritualité de Michel-Maxime Egger[3]
Une année de mise en œuvre concrète
Le dicastère pour le service du développement humain intégral va donc piloter une année entière d’évènements jusqu’au 24 mai 2021 pour célébrer cet anniversaire extraordinaire. Soulignons parmi ceux-ci:
– le Temps de la Création (1er septembre-4 octobre) dans la période des vendanges et récoltes des fruits de la Création, qui verra la mise en place de labels œcuménique EcoEglises en Suisse romande pour une sensibilisation des communautés chrétiennes à cette conversion écologique
– la mise en valeur d’un Pacte éducatif global avec le monde enseignant (le 15 octobre 2020) qui nous permettra de mieux intégrer cette dimension dans nos formations
– une rencontre « L’économie selon François » avec de jeunes entrepreneurs, le 21 novembre 2020 à Assise, pour repenser une économie au service du bien commun
– une table ronde du Vatican au Forum économique de Davos du 26 au 29 janvier 2021
– une rencontre des leaders religieux au printemps 2021
– la journée mondiale de l’eau (22 mars 2021) bien précieux pour tous les vivants
– une célébration conclusive de cet anniversaire avec conférences, une création musicale mondiale, un concours biblique, une Plastik bank, la remise de prix Laudato si’ et le lancement d’une plateforme d’initiative pluriannuelle dans les familles, paroisses et diocèses, écoles, instituts, hôpitaux, entreprises…
Les projets ne manquent pas et il nous faut aujourd’hui vivre le dialogue promu dans le 5ème chapitre de l’encyclique à tous les niveaux possibles comme susciter des temps spirituels qui permettent d’allier louange et engagement, action et contemplation dans une dynamique de communion fraternelle. Le réseau Laudato si’ des monastères dont l’abbaye d’Hauterive est ici un vrai laboratoire de cette interconnexion de toutes les dimensions de l’écologie intégrale[4].
Saisissons le kairos de la crise que nous traversons pour favoriser réflexion et transformation de nos modes de vie personnelle et communautaire et contribuer ainsi à renouveler le visage de notre humanité et faire advenir cette Terre nouvelle que l’Apocalypse annonce déjà comme resplendissante (Ap.21)
Alain Viret, formateur
Quelques liens pour approfondir la réflexion:
Webzine de la CEF :
www.dignitedeveloppement.ch/activites/redecouvrir-laudato-si-pour-eclairer-le-temps-present/
[1] Hartmut Rosa, Accélération, une critique sociale du temps, la Découverte, 2012 et Résonance, une sociologie de la relation au monde, La découverte, 2018.
[2] William Clapier, Effondrement ou révolution, la fin du monde ou la fin d’un monde, le Passeur, 2020.
[3] Michel-Maxine Egger, La Terre comme soi-même, repères pour une écospiritualité, Labor et Fides, 2013
[4] Nathalie de Kaniv et p. François You, l’écologie intégrale au cœur des monastères, ed. Parole et silence, 2019.